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Il faut reprendre l’étude du mouvement ouvrier classique
d’une manière désabusée, et d’abord
désabusée quant à ses diverses sortes d’héritiers
politiques ou pseudo-théoriques, car ils ne possèdent
que l’héritage de son échec.
Les succès apparents de ce mouvement sont ses échecs
fondamentaux (le réformisme ou l’installation au pouvoir
d’une bureaucratie étatique) et ses échecs (la
Commune ou la révolte des Asturies) sont jusqu’ici
ses succès ouverts, pour nous et pour l’avenir.
Internationale situationniste, n° 7
Prolétaire, quand tu penses comme un bourgeois, tu vis comme
un esclave !
Parmi les détracteurs du point de vue anti-industriel, il
en est qui nous objectent que seule la lutte de classes est importante
et suffit à éclairer tous les évènements.
Mais encore faut-il s’entendre sur les mots et développer
ce que nous mettons derrière cette notion de lutte des classes,
car les partisans de celle-ci désignent des réalités
bien différentes les unes des autres.
Disons sommairement que ce concept peut désigner un état
de fait inhérent au capitalisme ou bien un effort volontaire
de la part des classes en question. Bref, la lutte de classes est
présentée soit comme un facteur historique qui apparaîtrait
mécaniquement, soit comme un ensemble d’évènements
résultant d’une révolte consciente face à
la domination et à l’injustice.
* -
Mais aujourd’hui, quelle réalité avons-nous
devant les yeux ? Voyons-nous une classe se battre afin de construire
réellement son histoire ? N’en déplaise à
certains, la notion de classe est de moins en moins valide pour
éclairer nos analyses et pour guider nos actions. Nous constatons
en effet qu’au sein des pays les plus riches et les plus industrialisés,
la plupart de nos contemporains ne se reconnaissent plus dans l’appartenance
à une classe sociale. C’est au contraire l’aspiration
à vouloir "grimper les échelons" qui se
rencontre le plus souvent. Comment définirons-nous le prolétaire
d’aujourd’hui ? Comme un salarié qui ne dispose
que de ses bras et de son cerveau à louer à un exploiteur
? Dans ce cas, moult flics, vigiles, sous-chefs, contrôleurs,
cadres supérieurs, fayots, jaunes, collabos et même
directeurs d’entreprise sont des prolétaires !
Faut-il prendre en considération le salaire ? Certains travailleurs
ont des salaires relativement élevés, sont-ils encore
à classer parmi les prolos ? Et d’ailleurs, n’y
a-t-il de prolétaires que pauvres ? Et lorsque nous employons
le terme d’ouvrier, celui-ci recouvre-t-il encore la même
réalité qu’hier ? Convient-il vraiment à
celui dont la tâche consiste à appuyer sur quelques
boutons pour faire fonctionner un robot dans une usine ? Allons
même plus loin : est-ce que les chômeurs doivent être
comptabilisés parmi la classe laborieuse ? (il est d’ailleurs
notable que les actions les plus radicales des ces dernières
années ont été le fait de chômeurs et
de personnes agissant en dehors du terrain habituel qu’est
le monde du travail)
* -
De la même manière, s’imaginer que les mouvements
revendicatifs actuels ont quelque chose de commun avec l’ancien
mouvement ouvrier révolutionnaire est une supercherie. La
vision mécaniste de l’Histoire, toujours associée
avec la croyance ridicule en un progrès constant et perpétuel,
voudrait pourtant démontrer une continuité entre ces
deux phénomènes. Mais ce qui fait défaut à
l’essentiel de ces mouvements actuels c’est exactement
ce qui caractérisait l’ancien mouvement révolutionnaire
: une conscience, une éthique et une volonté déterminée
à changer radicalement le monde. Ces révolutionnaires-là
étaient d’entrée de jeu des hors-la-loi, ils
étaient et voulaient être incompatibles avec l’ennemi
qu’ils combattaient.
Quoi de commun en effet entre une grève de 24 heures pour
réclamer une augmentation de salaire de 1 % et les actes
accomplis par le prolétariat révolutionnaire ? Rien.
Il n’y a pas continuité tout simplement parce que le
capitalisme a su jouer à la fois de la répression
et de l’intégration envers ce mouvement révolutionnaire
défunt. La délégation de pouvoir, la bureaucratisation
et la cogestion sont faites pour désarmer les prolétaires.
La consommation comme le travail sont faits pour détruire
notre conscience et obtenir notre collaboration de manière
encore plus subtile au monde qui pourtant nous asservit. C’est
pourquoi de nos jours la plupart des inégalités sont
vécues comme "normales", avec toujours un espoir
de les atténuer grâce aux diverses aides, aux progrès
de la technique et de la science, au retour du plein emploi ou bien
aux gains du loto. Jadis l’on mourrait pour la liberté
et la justice, aujourd’hui on courbe l’échine
en attendant un sort meilleur. Hier nos prédécesseurs
voulaient faire la révolution sociale, aujourd’hui
l’on considère qu’il faut gérer les intérêts
antagoniques au sein d’un système qui est supposé
indépassable.
Oui, dans le monde entier des travailleurs sont en grève.
Oui leurs intérêts divergent de ceux de leurs exploiteurs.
Oui les inégalités sont toujours bien réelles
! Mais dans la mesure où partout - à de rares exceptions
près - ces divergences ne sont pas considérées
comme inconciliables, nulle volonté de briser le statu quo
n’émerge. On se bat pour reprendre un peu de ce que
le pouvoir nous a pris. Bref, c’est Sisyphe roulant son rocher...
Dans un tel contexte, tout ce qui à l’apparence d’une
victoire ou d’une avancée s’avère être
au bout du compte une approbation du système de domination.
Les "acquis sociaux" sont synonymes de paix sociale, d’exploitation
acceptable, donc de résignation. Aujourd’hui, la défense
des travailleurs revient à défendre le salariat. Avec
en prime la défense de l’Etat comme garant mythique
de la justice puisque tout doit être inscrit dans la loi !
Quant à la prétendue répartition égalitaire
des richesses, elle ne consiste en fait qu’en une répartition
des marchandises et de l’aliénation qui va fatalement
avec. Du bas au haut de l’échelle sociale, les mêmes
aspirations égoïstes triomphent. La quantité
et la qualité des marchandises consommées varient
en fonction du pouvoir d’achat, mais c’est finalement
la même aliénation qui réunit le PDG et la femme
de ménage qui nettoie son bureau.
Quand un prolo crane devant ses semblables sitôt qu’il
en a l’occasion en exhibant des gadgets et quand il considère
qu’il est normal qu’un patron gagne plus de fric que
lui, cela signifie que sa mentalité s’est embourgeoisée.
Quand un cadre supérieur se fait virer car son entreprise
doit se restructurer, cela signifie que la condition des valets
du système s’est précarisée. En vérité,
la puissance de l’économie et de l’industrie
n’ont pas seulement balayé la conscience de classe
mais la conscience tout court. Dans un monde de concurrence et de
consommation, les plus pauvres n’en sont pas simplement réduits
à singer les comportements des plus riches et à désirer
les mêmes choses qu’eux. Quand nous y songeons un peu,
nous voyons bien que si l’ancien prolétariat révolutionnaire
est laminé, c’est parce que notre sensibilité
et notre intelligence - lesquelles sont indispensables pour toute
prise de conscience et donc pour toute révolte conséquente
- sont complètement atrophiées par les conditions
modernes de survie qu’impose le monde de la domination. Chaque
jour, la société industrielle ne cherche qu’une
chose : nous rendre compatible à son fonctionnement normal,
et nous satisfaire de cette compatibilité octroyée
par tous les moyens. Voyez l’enseignement dispensé
dans les écoles [1].Voyez les jouets vendus pour amuser les
enfants [2]...
* -
Pourquoi formuler alors un point de vue qui s’oppose à
l’industrialisation du monde et à sa technologie ?
D’abord parce que cette industrialisation s’est présentée
comme bienfaitrice de l’humanité, en apportant le confort
et la santé. C’est sans doute la raison pour laquelle
la majeure partie du prolétariat s’est bornée
à proposer l’expropriation des moyens de productions
aux mains des capitalistes afin de gérer elle-même
ces moyens. En somme, on voulait bien changer les musiciens mais
on voulait toujours jouer la même musique !
Ensuite, parce que la domestication et la pacification s’opèrent
d’autant plus facilement qu’elles sont obtenues techniquement
et industriellement. Quelle est par exemple l’arme privilégiée
du spectacle pour anesthésier les consciences et uniformiser
les comportements, si ce n’est la télévision
? Moyen moderne de "communication" présent sur
la planète entière, la télé c’est
le contrôle social dans chaque habitation. Et le développement
technologique continu - à grands coups de satellites - lui
permet d’accroître sans cesse cette présence,
jusque dans les bistrots et les écoles. Partout les écrans
nous hypnotisent et nous désarment : télévision,
automates, ordinateurs, (Internet c’est l’aliénation
à haut débit !) téléphones mobiles,
jeux vidéos, cinéma... Dans le même sens, la
technologie dote le pouvoir de moyens de contrôle et de répression
jamais connus auparavant. Nous sommes sous surveillance en permanence.
L’armement des polices et des militaires n’a jamais
été autant sophistiqué.
Enfin, cette industrialisation ne s’est pas accomplie en
laminant seulement - si l’on peut dire - les consciences et
les volontés. Elle détruit aussi les bases biologiques
de notre existence. Elle qui prétendait apporter confort
et santé alors qu’elle sème la mort, la maladie
et la souffrance en faisant croître le désert. Nul
besoin de décrire encore et encore la longue chaîne
des catastrophes et des accidents, des pollutions et des destructions.
Il suffit d’ouvrir les yeux. Voilà les raisons pour
lesquelles nous mettons l’accent sur l’aspect industriel
et technologique de la domination. Il ne s’agit pas de substituer
un nouvel ennemi - la société industrielle - à
l’ancien - le capitalisme. Il s’agit de dire quel est
le visage de l’ennemi de toujours. Le capitalisme est avant
tout industriel et technologique. Cela lui permet d’ailleurs
un camouflage plus subtil qu’auparavant : le pouvoir, parce
qu’il n’a plus de tête, voudrait faire croire
qu’il n’existe pas. Le point de vue anti-industriel
n’est donc pas une nouvelle idéologie, ce n’est
pas un sésame susceptible de tout expliquer, ce n’est
pas non-plus un réductionnisme étriqué. C’est
simplement la manifestation lucide de la prise en compte de l’incompatibilité
totale entre ce monde et nos aspirations profondes. Car rien n’est
à récupérer au sein d’un tel système.
* -
Nous sommes les héritiers de l’ancien mouvement révolutionnaire.
Nous en avons conservé les moyens d’actions et d’organisation
essentiels tels le sabotage, l’internationalisme, l’auto-organisation
et l’action directe. Nous en avons surtout gardé le
projet : le communisme. La lutte continue. Mais cette lutte ne doit
plus se tromper d’objet. Elle doit repartir de la réalité
qui est là devant nous. Elle ne doit plus dépendre
des critères et des valeurs imposées par la domination,
elle ne doit plus chercher à continuer de faire tourner ce
monde qu’on nous impose mais a en établir de nouveaux.
Cela implique que l’une de nos tâches essentielles consiste
à être capables de définir quels seraient les
vrais besoins d’une société libre. Ce qui revient
donc à clarifier ce qui se dissimule derrière cette
notion lorsqu’elle est utilisée par le capitalisme.
Ce dernier crée des besoins de toute pièce, et la
technologie industrielle lui facilite grandement la tâche.
A tel point que chaque revendication - même la plus radicale
- se change fatalement en aménagement du système.
L’important réside dans le sens que nous donnons à
nos propos et à nos actes. C’est la raison pour laquelle
chaque construction de notre part prend l’apparence d’une
destruction de ce monde et réciproquement. C’est ce
que nous signifions lorsque nous déclarons vouloir sortir
de ce monde sans le laisser en paix. L’enjeu est de créer
une force révolutionnaire capable d’acquérir
la plus large autonomie possible par rapport au système ennemi
tout en se dotant d’une capacité de destruction de
celui-ci.
* -
Si l’on veut bien considérer que « l’auto-émancipation
doit être l’œuvre de la classe qui est capable
d’être la dissolution de toutes les classes en ramenant
tout le pouvoir à la forme désaliénante de
la démocratie réalisée, le conseil dans lequel
la théorie pratique se contrôle elle-même et
voit son action. Là seulement où les individus sont
directement liés à l’histoire universelle, là
où seulement le dialogue s’est armé pour faire
vaincre ses propres conditions » (Guy Debord, La société
du spectacle) alors nous devons également considérer
qu’il est nécessaire de nous sortir de la condition
qui nous est faite par ce monde. Autrement dit, nous devons nous
définir et agir en fonction de nos motivations réelles,
et non pas en fonction de ce que le capitalisme fait ou veut faire
de nous. Cela signifie concrètement que nous n’avons
pas à nous solidariser avec une grève par réflexe,
parce que la grève serait une arme traditionnelle utilisée
par les révolutionnaires. Certes, nous sommes bien évidemment
favorables à tout ce qui peut nuire à ce système-
et une grève peut effectivement représenter un moyen
de nuisance. Mais seul compte le sens donné à ce genre
d’initiative. Il y a donc une contradiction à plaider
d’une part pour la "décroissance" et, d’autre
part, soutenir un mouvement de grève au seul motif qu’il
se distingue par sa durée dans le temps.
Ainsi, nous voyons des anarchistes qui viennent de prendre conscience
de la dangereuse absurdité du développement économique
soutenir dans le même temps les salariés de l’entreprise
STMicroelectronic qui vont être licenciés. Cette entreprise
est spécialisée dans la haute technologie. Elle ne
produit que de la merde. Ce que nous proposons est la destruction
de ces usines. Et ce que nous disons aux salariés qui y travaillent,
c’est de faire grève non pas pour obtenir une reconversion
ou pour sauvegarder leur emploi, mais plutôt pour prendre
un maximum d’argent afin de l’utiliser pour accroître
leur autonomie et lutter contre le capitalisme. Trop de luttes,
pour n’avoir pas su décrypter la logique infernale
du système, combattent aujourd’hui des fantômes,
se condamnant à l’impuissance ou, pire, à renforcer
le pouvoir même si leur intention était de l’affaiblir.
* -
Nous sommes opposés à la société industrielle
parce qu’elle nous empêche de vivre librement, parce
qu’elle nous fait mal. A l’instar de nos prédécesseurs
qui avaient compris que l’Etat, l’argent, le salariat,
la marchandise, le spectacle étaient nocifs pour eux, nous
voulons nous débarrasser des infrastructures industrielles,
des usines aux caméras de surveillance, des parcs de loisirs
aux aéroports. C’est ainsi que nous entendons continuer
la lutte qu’ils avaient commencée.
Tiré du Le n°13 d’A trop courber l’échine,
Bulletin acrate, disponible à l’adresse suivante :
STA B.P. 1021 76171 ROUEN cedex 1 FRANCE
Ce bulletin est gratuit. Il ne vit que de la bonne volonté
de son rédacteur et des dons de ses lecteurs. Vous pouvez
envoyer des timbres ou des sous (Rouen CCP 6 591 39 J). Reproduction
et diffusion encouragées.
[1] cf. L’enseignement de l’ignorance et ses conditions
modernes de Jean-Claude Michéa, éditions Climats.
[2] cf. Le vieux monde et l’enfant, Le Monde à l’envers
n°3, éditions Ressouvenances ( 3 rue de la Cidrerie -
02600 Coeuvres et Valséry)
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